« First Cow » est un film indépendant américain réalisé par Kelly Reichardt et co-écrit par Jonathan Raymond, auteur de la nouvelle « The Half-Life » dont est tiré film. L’histoire se déroule au XIXe siècle dans l’Oregon et raconte la rencontre entre un cuisinier et un immigrant d’origine chinoise se liant d’amitié et dérobant ensemble le lait de la première vache introduite en Amérique pour l’ajouter à leur recette de beignets dont les autres pionniers seront friands.
L’adaptation d’une nouvelle
Des différences notables existent entre le scénario et la nouvelle. Ainsi, le parallèle entre l’histoire de Cookie et Henry/King-Lu en 1820 et celle de deux adolescentes en 1980 a été supprimé du scénario. Seule subsiste une scène d’introduction avec l’une des deux adolescentes découvrant les squelettes des deux hommes et n’a de véritable intérêt qu’à la fin. Par contre, l’introduction du personnage de la vache, absent dans la nouvelle, est une idée brillante et qui, compte tenu du budget réduit du film (2 millions de dollars, soit le dixième du budget moyen d’un film de ce type), évite de devoir suivre le parcours, décrit dans le livre, des deux trappeurs jusqu’en chine.
Un western contemplatif
Comme dans chacun de ses films – je pense en particulier à un autre western, « La Dernière Piste » (Meek’s Cutoff) sorti en 2010, le rythme voulu par la réalisatrice, également monteuse, est lent et envoûtant. Son style se reconnaît à la fois par la longueur de ses plans, leur fixité et leur grosseur, souvent serrés. La focale utilisée est comme toujours moyenne avec une belle profondeur de champ. De plus, le format de l’image est ici aussi en 4/3 et non en cinémascope comme le veut le genre. Enfin, la construction sonore est subtile mais réaliste et les dialogues sont toujours aussi rares.
Une immersion réelle
L’esthétique de Kelly Reichardt offre ainsi, une fois encore dans ce film, une immersion réelle du spectateur, avec ici de belles images d’une nature étonnamment foisonnante et diversifiée, sur une prétendue terre d’abondance qui pourtant ne permet aux personnages de manger à leur faim. En effet, nous voyons ceux-ci vivre misérablement dans des baraquements sommaires, pas plus grands que des cabanes de jardin. Ce souci du détail des décors montre la rudesse de la vie des pionniers qui deviennent nostalgiques de leur vie d’avant quand ils goûtent les beignets préparés par Cookie.
Un film sur l’amitié
Malgré ces conditions de vie difficile, l’amitié entre les deux hommes reste intact. C’est le véritable sujet du film, comme l’indique la citation de William Blake ouvrant le film « L’oiseau a son nid, l’araignée sa toile, et l’homme l’amitié ». Par ailleurs, la violence par arme à feu est étonnamment quasi absente et les relations entre colons et amérindiens sont tout à fait cordiales. Il est vrai que l’action se déroule avant le début de la conquête de l’Ouest, en 1840. Enfin, le coup de feu final qui serait fatal à King-Lu est élégamment éludé, offrant une fausse fin ouverte, compte tenu de la première séquence de découverte des deux squelettes placés dans la même position que les deux hommes deux siècles plus tôt. Un film à la fois agréable et différent que je vous recommande vivement, à voir au cinéma Le Méliès Jean-Jaurès.
Par Richard Clermont