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À l’approche de la Fête de la musique, des messages circulant sur les plateformes numériques ont évoqué des projets d’agressions à la seringue contre de jeunes femmes, utilisant potentiellement du GHB. Cette situation a généré deux dépôts de plainte et autant d’interpellations dans les villes de Lyon et Roanne.
Des témoignages qui alimentent l’angoisse
Les récits suivent généralement un schéma similaire : des victimes présumées découvrent une marque de piqûre sur leur bras ou leur cou après avoir participé à un concert, un festival ou une soirée en discothèque. Certaines rapportent des symptômes comme des nausées ou des étourdissements quelques heures plus tard, mais c’est surtout l’inquiétude qui domine leurs témoignages.
La peur qui pousse à l’isolement
Jade, lycéenne de 16 ans, a renoncé à ses sorties du 21 juin après avoir visionné des contenus alarmants sur les réseaux : des vidéos évoquaient un prétendu concours masculin visant à agresser le maximum de jeunes filles à Saint-Étienne. Face à cette menace, elle a observé l’émergence d’un système de communication codée entre femmes, utilisant des questions anodines sur les vêtements pour signaler un danger potentiel.
Chloé, trentenaire lyonnaise, a également annulé sa sortie après avoir découvert sur l’application The Sorority des captures d’écran troublantes provenant de groupes masculinistes sur Telegram, contenant des guides détaillés sur les méthodes d’agression chimique. Cette femme regrette que ces menaces aient atteint leur objectif : maintenir les femmes à domicile par la peur.
L’effet pervers de la surexposition médiatique
Chloé soulève une question pertinente sur l’impact de la diffusion de ces informations anxiogènes. Selon elle, le partage massif de ces menaces contribue paradoxalement à réduire la présence féminine dans l’espace public et peut culpabiliser les victimes d’agressions réelles, comme si elles avaient pris des risques inconsidérés. Pierre Lamothe, psychiatre légal lyonnais, confirme que la propagation virale de ces rumeurs via les plateformes numériques joue un rôle majeur dans l’amplification de la psychose collective actuelle.
Des chiffres qui interrogent
Les statistiques officielles de 2022 révèlent plus de 800 plaintes déposées en France concernant des piqûres présumées, touchant 1 098 victimes recensées. Pourtant, selon la Direction de la police nationale, aucune des analyses sanguines effectuées n’a confirmé la présence de GHB dans l’organisme des plaignantes. Cette crainte des piqûres malveillantes n’est pas nouvelle. Des recherches historiques, notamment rapportées par Le Figaro, indiquent que cette « légende urbaine » existe depuis plus de deux siècles, se réactualisant périodiquement selon les contextes sociaux et les moyens de communication disponibles.
Le psychiatre Pierre Lamothe éclaire ce paradoxe entre symptômes ressentis et absence de produits détectés par une approche psychosomatique. Il cite des expériences scientifiques démontrant comment la suggestion peut provoquer des réactions physiques réelles : une personne convaincue d’avoir été brûlée par un objet chaud ressentira effectivement une douleur de brûlure, même si l’objet est froid. Ainsi, une femme découvrant une marque suspecte sur sa peau, après avoir été exposée à des rumeurs de piqûres, peut développer des symptômes similaires à ceux d’une intoxication médicamenteuse, incluant nausées et vertiges, sans avoir ingéré aucune substance.
Une analyse sociologique troublante
Patrick Dessez, expert près la cour d’appel lyonnaise, propose une lecture sociologique de ce phénomène qu’il interprète comme « une réaction masculiniste au féminisme ». Selon lui, certains hommes expriment une virilité exacerbée en cherchant à rétablir une domination fantasmée sur les femmes. L’acte d’agression, même symbolique, procurerait un plaisir pervers à ces individus qui jouissent de voir leurs victimes sombrer dans la panique. Cette atmosphère de menace modifie concrètement les habitudes vestimentaires et sociales des femmes. Audrey confie qu’elle réfléchit désormais systématiquement à ses tenues vestimentaires avant de sortir, privilégiant les vêtements qui exposent le moins de peau possible, même en reconnaissant la rareté statistique des agressions réelles au GHB.