
FRANCE - 31 DECEMBRE: L'Abbe Pierre participe a l'operation Une bougie pour Sarajevo le 31 decembre 1993 en France. (Photo by Gilles BASSIGNAC/Gamma-Rapho via Getty Images)
Dans cette nouvelle enquête, neuf témoins se joignent aux nombreuses victimes déjà identifiées, livrant des récits de viols, d’abus incestueux et de violences sexuelles systématiques. Le rapport décrit un individu manipulateur, capable de menacer et d’intimider ses victimes, qu’elles soient adultes ou enfants. Le portrait d’un prédateur sexuel, un homme qui, tout au long de sa vie, a choisi ses proies avec une précision glaçante.
Des agressions à caractère incestueux et un viol sur mineur
Parmi les témoignages récoltés, l’un d’eux évoque un viol sur un garçon mineur. Bien que la victime préfère rester anonyme, les éléments du rapport permettent d’attester la véracité de ses accusations. Un autre témoignage, cette fois d’une proche famille de l’abbé Pierre, fait état d’abus à caractère incestueux survenue à la fin des années 1990. La victime décrit des attouchements répétés et un baiser forcé par Henri Grouès, le nom de naissance de l’abbé Pierre.
Les agressions n’étaient pas seulement l’apanage des plus jeunes : plusieurs adultes, souvent des femmes travaillant pour Emmaüs, racontent avoir été victimes d’attouchements, de baisers forcés, et d’autres actes violents. Parmi elles, une jeune employée de l’association a démissionné après que l’abbé Pierre lui ait fait subir une série de violences sexuelles, allant de gestes déplacés à des attouchements forcés. D’autres victimes, comme une femme dans les années 2000, rapportent des gestes aussi violents et intrusifs, allant jusqu’à des agressions sexuelles brutales.
Le Polaroïd, un outil de manipulation et de fétichisme
Le rapport met également en lumière la manière dont l’abbé Pierre immortalisait ses actes. Un Polaroïd qu’il emportait partout avec lui devient un objet récurrent dans les témoignages. Après des agressions, il demandait parfois à ses victimes de poser pour lui, photographiant ces moments, qu’il gardait précieusement, semblant vouloir créer une collection sordide de ses actes. Plusieurs victimes affirment avoir vu ces photos, et l’on parle d’une pile d’images trouvée dans un tiroir de l’abbé Pierre.
“Cela ressemble à des trophées”, explique la psychologue Nathalie Longuet-von Zelowitz, qui analyse ces comportements comme caractéristiques de certains criminels en série, cherchant à immortaliser leurs victimes dans une dynamique de contrôle.
La façade d’un homme au pouvoir et à l’influence
Le rapport souligne également les mécanismes de manipulation dont l’abbé Pierre faisait preuve, notamment pour étouffer les dénonciations. Un des témoins se souvient de menaces explicites : “Il me dit qu’il est très puissant, que les gens l’aiment, qu’il ne faudra jamais parler de ce qui vient de se passer”. Ce pouvoir de persuasion et d’intimidation a permis à l’abbé Pierre de maintenir un silence pesant autour de ses actes pendant des décennies, tout en ayant une position d’influence considérable au sein du mouvement Emmaüs et de l’Église.
Un silence étouffant pendant des décennies
La mission d’écoute mise en place par Emmaüs France a recensé 57 victimes. Toutefois, la directrice associée du cabinet Egaé, Caroline De Haas, estime que ce chiffre est sans doute bien en deçà de la réalité. Les victimes étaient souvent réduites au silence, soit par peur, soit par l’omerta qui régnait autour de la figure de l’abbé Pierre. Des victimes n’ont pas souhaité témoigner, d’autres ont dû faire face à des pressions internes. Certaines histoires sont devenues des souvenirs lointains, difficiles à corroborer, mais d’autres témoignages continuent de surgir.
Un impact systémique et une faillite institutionnelle
Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieuses et religieux de France, ne cache pas son écœurement face à ces révélations. Elle déclare qu’il est fort probable qu’il y ait “deux à trois fois plus de victimes” que celles identifiées à ce jour. Pour elle, ce scandale révèle une “faillite institutionnelle” : une défaillance des autorités religieuses et d’Emmaüs, qui n’ont pas pris des mesures suffisamment fermes malgré les premiers signaux d’alerte dès les années 1950.
Le travail de vérité continue
Le mouvement Emmaüs, à travers cette mission d’écoute, s’engage désormais à faire toute la lumière sur ces abus. Une commission indépendante, présidée par la sociologue Céline Béraud, va commencer en février à explorer les mécanismes qui ont permis de dissimuler ces agissements pendant si longtemps. Le puzzle du silence, tissé au fil des années, semble enfin commencer à se défaire, mais des zones d’ombre demeurent.
Avec AFP.