Rappelle-toi, chaque samedi soir c’était la même chose dans la Loire :
–Tu sors en discothèque à Saint-Etienne ?
–Non maman, je sors en boîte. Ça ne se dit plus le mot discothèque.
Souviens-toi de la musique enivrante avant d’arriver en boîte. Les « boum boum » qui faisaient palpiter ton cœur. À l’entrée tu glissais 20 euros dans la poche de Karim, le videur, pour qu’il laisse rentrer tes potes qui n’avaient pas le physique de la soirée. D’ailleurs toi aussi tu as mis longtemps avant de pouvoir y rentrer. Ça les gênait que tu déambules dans leur établissement alors qu’ils laissaient bien circuler la drogue librement.
Une fois à l’intérieur, dans ton esprit tout était possible. Des rencontres improbables au détour d’un verre, un sourire ravageur derrière le bar, une amitié renouée. La réalité c’était plutôt que ta chemise était à deux doigts de prendre feu dans le fumoir, sans compter sur l’haleine fétide d’un ami qui parlait un peu trop près de ton nez ou encore le verre du type à côté de toi qui finissait sur ton pantalon. Ça te faisait rire de voir le DJ mixer, s’autoproclamer Dieu, sur son autel, comme si des ultrasons sortaient directement de son corps alors que tout était pré-enregistré et qu’il n’avait qu’à cliquer sur un titre.
Tu finissais aussi par maudire les fils à papa du carré VIP et les bimbos de la boite Stéphanoise
Tu n’allais plus donner ta veste à la fille du vestiaire car c’était ton ex. Tu envoyais quelqu’un te prendre un verre vers la fille du bar car c’était aussi ton ex. En général, tu finissais toujours par dire que c’était la dernière fois que tu venais dans cet endroit pathétique, une fois que les vapeurs d’alcool redescendaient. Tu finissais aussi par maudire les fils à papa du carré VIP et les bimbos qui les accompagnaient parce que tu terminais ta soirée souvent seul. Parfois il y avait des soirées à thème et tu trouvais cela on ne peut plus ringard. Mais l’accoutumance, les habitués du genre et l’ambiance que tu ne trouvais nulle part ailleurs avaient contribué à ton attachement pour ce temple de la déchéance. Finalement, la raison regagnait ton cerveau vers 5h lorsque passaient « Les lacs du Connemara » de Sardou ou « Femme » de Jean-Luc Lahaye.
Dehors le videur se prenait la tête avec celui qui n’avait pas réussi à rentrer à cause de ses baskets non réglementaires. Un autre vomissait dans le caniveau. Une connaissance ne te lâchait pas la grappe pour te faire des nœuds au cerveau en te demandant à une heure pareille des choses improbables, comme « Qu’est-ce que tu penses du conflit israélo-palestiniens ?« . Et même si le lendemain tu regrettais ta soirée, le lundi venu tu ne pensais qu’à l’arrivée du week-end pour réitérer.
Aujourd’hui, la COVID est passé par là. Le samedi soir c’est en pyjama devant la télé avec ton plateau repas. Un verre de vin en mangeant, pas plus. Tu ne t’es jamais plus retrouvé à plus de dix dans la même pièce et tu ne parles plus qu’à ton smartphone. Tu es un ancien si tu as connu les boîtes de nuit.
Martial MOSSMANN