Le monde tel qu’il est, très poétique
Le film « L’homme qui penche » est une adaptation très réussie des poèmes en prose de Thierry Metz. Il démarre sur un magnifique plan-séquence fixe d’un champ dans la brume avec un grand arbre en son centre. Un faible bruit de vent et quelques gazouillements d’oiseaux se font à peine entendre. Ces oiseaux viennent ensuite se poser sur des fils électriques. Puis la brume commence à se dissiper. Certains oiseaux s’envolent alors pendant qu’un train passe au loin, invisible. La nature se réveille et la brume disparait peu à peu. Puis, enfin, une voix-off fait résonner le texte de Thierry Metz. Tout est résumé dans ces premières minutes : la nature, magnifique, des plans toujours fixes, suffisamment longs pour que le moindre battement d’aile, le moindre bruissement deviennent un évènement et la voix off du co-réalisateur, Olivier Dury, laisse échapper les mots du poète.
Un ouvrier et un poète
Thierry Metz était manœuvre dans le bâtiment. Il le revendiquait autant qu’il maudissait ce travail besogneux et alimentaire. Des images proches du documentaire viennent illustrer des extraits du « Journal d’un manoeuvre », celles d’ouvriers comme lui sur un chantier de construction d’une maison. Un mouvement de grue élève finalement la caméra puis la fait pivoter pour montrer en vue rapprochée des branches d’arbres où sont nichés des oiseaux. Les réalisateurs (Marie-Violaine Brincard et Olivier Dury) parviennent ici à parfaitement adapter cinématographiquement l’oeuvre du poète-ouvrier dont les textes avaient à la fois la gravité “terrienne” de la vie et sa légèreté, pareille à celle d’un oiseau, élément récurrent dans l’oeuvre de Thierry Metz.
Les portes du monde
« C’est en s’approchant du monde que l’on s’éloigne de ses portes » finit par dire le poète par la voix du narrateur-réalisateur. Encore un fois, les réalisateurs arrivent là aussi à montrer cela : leur caméra obstinément fixe et toujours persistante par la durée des plans est toujours suffisamment loin du sujet (ou de l’objet) pour ne jamais en révéler complètement le “mystère”.
La beauté du vent dans les arbres
Un des rares mouvements de caméra du film montre un paysage du Lot-et-Garonne en panoramique comme peut le faire, dans ses propres films, Jean-Marie Straub. Celui-ci aime d’ailleurs citer D. W. Griffith (l’inventeur de presque tous les éléments du langage du cinéma) : « Ce qu’il manque aux films modernes est la beauté – la beauté du vent se déplaçant dans les arbres ». C’est le cas dans ce film, à voir actuellement au Méliès Jean-Jaurès.
Par Richard Clermont