« Compartiment n°6 » est le deuxième long métrage du réalisateur finlandais Juho Kuosmanen, récompensé au dernier festival de Cannes par le Grand Prix ex-aequo avec « Un héros » de Asgar Farhadi. C’est un (rail)road-movie d’une étudiante finlandaise (Laura) se rendant en train sur un site archéologique en mer arctique avec comme compagnon de fortune un jeune ouvrier moscovite (Ljoha) rustre et chauvin. Au cours de cet interminable voyage dans le même compartiment couchette, entrecoupé de longs arrêts en gare, ils feront ensemble d’improbables rencontres et peu à peu se rapprocheront.
L’adaptation d’un roman
Le film est l’adaptation plutôt fidèle d’un roman finlandais (également disponible en français) de Rosa Liksom. Une différence notable entre le film et le livre concerne l’importance accordée au paysage traversé en train : il est très présent dans le roman alors qu’il n’est que secondaire dans le film ; le réalisateur s’attachant davantage à montrer Laura regarder le paysage que celui-ci uniquement. Ces plans rapprochés en CinemaScope, tournés en pellicule, permettent de sonder les sentiments complexes de Laura vis-à-vis à la fois de sa petite amie qu’elle vient de quitter et de Ljoha qu’elle découvre peu à peu. Concernant l’ambiance sonore, la romancière et les auteurs du film accordent le même intérêt au bruit du train (« La locomotive sifflait, le grincement des rails se mêlait au martèlement métallique du train », page 14). Par contre, la diffusion du « Quatuor à cordes N°8 de Chostakovitch [qui] jaillit des hauts-parleurs en plastique du compartiment et du couloir » (page 10 du roman) a curieusement disparu dans l’adaptation.
Une absence de musique originale
L’absence de musique de film originale est l’une des particularités de « Compartiment n°6 ». Le réalisateur a effectivement surtout préféré utiliser les sons ambiants ainsi que quelques chansons déjà existantes telles que « Voyage, Voyage » de Desireless. Ces chansons sont en outre diégétiques : elles sont diffusées soit par une chaîne hifi hors champ, soit par un autoradio. De plus, l’absence de musique de film permet de voir les personnages véritablement, sans fard (Laura n’est ni maquillée, ni coiffée), mais exige un effort suffisant de la part du spectateur et son attention soutenue.
Une mise en scène minimaliste
La mise en scène plutôt minimaliste incite également le spectateur à scruter les expressions du visage des acteurs, souvent en gros plan et au centre de l’image. De plus, les déplacements effectués camera à l’épaule accentuent la rudesse du lieu (un compartiment datant de l’ère soviétique), de la situation (une post-doctorante partageant un compartiment avec un jeune ouvrier souvent saoul) et de la météo (l’hiver glacial sibérien).
Un enjeu initial peu clair pour une quête de soi
La volonté de Laura de se rendre au nord du cercle arctique pour voir des dessins gravés sur de la pierre constitue finalement un enjeu assez mince. De la même manière, la raison pour laquelle elle fait tout même le voyage sans son amie n’est pas claire. Une fois encore, c’est au spectateur de déceler ce qui n’est ni dit, ni montré et comprendre que l’intérêt du film est de voir les personnages aller au delà de leur moi social (une étudiante studieuse finlandaise et un ouvrier machiste russe) pour découvrir leur moi profond qu’ils dévoilent peu à peu à l’autre. Comme le dit un proverbe touareg : « Le voyage c’est aller de soi à soi en passant par les autres ». Un film à voir au Méliès Saint François.
Par Richard Clermont