
Dans l’enceinte du tribunal correctionnel de Saint-Étienne, le silence est pesant lorsque tombe la décision : relaxe. L’infirmier accusé d’agression sexuelle sur une patiente en salle de réveil à l’hôpital du Gier quitte la salle, le visage marqué par trois années de procédure. Une affaire emblématique de la complexité des accusations en milieu hospitalier, où la frontière entre soins médicaux et intrusion dans l’intimité peut parfois sembler ténue, et où la vulnérabilité des patients sous médicaments complique davantage la recherche de la vérité judiciaire.
Une accusation grave dans un contexte médical sensible
Décembre 2017. Une patiente vient de subir une intervention chirurgicale sous anesthésie générale à l’hôpital du Gier à Saint-Chamond. Durant sa phase de réveil, elle affirme avoir ressenti, en pleine conscience, deux pénétrations digitales successives qu’elle attribue à l’infirmier chargé de ses soins post-opératoires. La plainte, initialement déposée pour viol sur personne vulnérable, sera requalifiée en agression sexuelle lors de l’instruction.
« J’étais parfaitement lucide malgré l’anesthésie, » maintient la plaignante, une femme d’une quarantaine d’années. « Je suis capable de distinguer entre une douleur post-opératoire et une intrusion sexuelle délibérée. Tout s’est déroulé sous les draps, à l’abri des regards. »
Face à elle, l’infirmier, 48 ans, expérience irréprochable jusqu’alors, rejette catégoriquement ces accusations : « En 22 ans de carrière, jamais je n’ai eu le moindre comportement déplacé. Cette salle de réveil est un lieu constamment fréquenté, avec du personnel qui va et vient en permanence. »
L’ADN : preuve irréfutable ou élément trompeur ?
L’élément qui semble accabler l’infirmier est la présence de son ADN retrouvé dans les prélèvements vaginaux effectués sur la plaignante. Pour Maître André Laroche, avocat de la victime présumée, cette preuve génétique est déterminante : « Comment expliquer autrement la présence de matériel génétique à cet endroit précis ? Les faits parlent d’eux-mêmes. »
Mais l’expertise scientifique nuance cette interprétation. Le rapport des experts génétiques, versé au dossier, indique clairement l’impossibilité de déterminer comment cet ADN s’est retrouvé là. « Un transfert secondaire est tout à fait possible et scientifiquement explicable, » précise le Professeur Maurice Lefort, expert en médecine légale consulté par la défense. « Si l’infirmier a touché la main de la patiente lors des soins, et que celle-ci s’est ensuite touchée elle-même, volontairement ou non, l’ADN aurait pu être transféré. »
Le cocktail médicamenteux : une explication alternative
C’est sur le terrain de la pharmacologie que la défense, menée par Maître Francis Demartin, a construit sa stratégie. « Ma cliente a reçu un cocktail médicamenteux exceptionnel, » explique-t-il en détaillant la liste impressionnante des substances administrées : curare, kétamine, morphine et divers opiacés, le tout sur un organisme déjà marqué par la présence de cannabis et de cocaïne détectés lors des analyses toxicologiques.
Le Docteur Élisabeth Fontaine, anesthésiste appelée comme témoin expert, confirme cette possibilité : « Ce type de mélange peut induire des hallucinations très réalistes, particulièrement des hallucinations à caractère sexuel. La kétamine, notamment, est connue pour provoquer des distorsions sensorielles majeures, parfois appelées ‘voyages extracorporels’ ou expériences dissociatives. »
L’ombre du brancardier jamais interrogé
Autre élément troublant relevé par la défense : l’existence d’un brancardier, resté dans l’ombre de l’enquête, qui a transporté seul la patiente de la salle de réveil vers le service ambulatoire. « Comment se fait-il que cet homme, qui correspond davantage à la description physique fournie par la plaignante – notamment concernant une calvitie totale que mon client ne présente pas – n’ait jamais été inquiété ni même entendu ? » s’interroge Maître Demartin.
Ce brancardier, identifié tardivement dans la procédure comme étant Gérard M., n’a en effet jamais été formellement interrogé par les enquêteurs, une lacune procédurale soulignée à plusieurs reprises lors des débats.
Une institution hospitalière sur la défensive
Pour l’hôpital du Gier, partie civile dans cette affaire représentée par Maître Simon Clerval, l’enjeu est considérable : « Notre établissement n’a jamais connu de tels incidents. Notre protocole de prise en charge en salle de réveil est extrêmement rigoureux, avec une surveillance constante des patients. »
Plusieurs témoignages de personnels soignants viennent appuyer cette position, décrivant la salle de réveil comme « un lieu de passage permanent », où l’intimité est quasiment inexistante et où un acte de cette nature semblerait « techniquement impossible à réaliser sans être vu. »
Des éléments personnels controversés
Durant les débats, la vie privée de l’infirmier a été évoquée, notamment sa fréquentation passée d’établissements libertins au début des années 2000. « On tente de créer un profil psychologique compatible avec l’accusation en piochant dans un passé lointain et parfaitement légal, » dénonce son avocat. « C’est la preuve que l’accusation manque d’éléments tangibles. »
La procureure, malgré ses réquisitions demandant deux ans de prison avec sursis, a elle-même reconnu « l’existence d’éléments troublants » et « de zones d’ombre persistantes » dans le dossier.
Une justice qui privilégie le doute
Après un délibéré relativement court de deux heures, le tribunal a prononcé la relaxe de l’infirmier, estimant que « les éléments à charge ne permettaient pas d’établir avec certitude la réalité des faits dénoncés. »
Cette décision, accueillie avec soulagement par l’accusé et consternation par la plaignante, illustre la difficulté pour la justice de trancher dans ces affaires où s’entremêlent parole contre parole, preuves scientifiques ambivalentes et contexte médical spécifique.
Pour le prévenu, cette relaxe marque la fin d’un calvaire judiciaire, mais pas nécessairement social et professionnel. « Il a déjà été suspendu pendant plus d’un an et sa réputation reste entachée malgré cette décision favorable, » confie son avocat.
La plaignante, quant à elle, s’estime doublement victime : « D’abord de l’agression elle-même, puis du système judiciaire qui n’a pas su ou voulu reconnaître ma souffrance. » Son avocat a d’ores et déjà annoncé son intention de faire appel.
Arnaud Bat