
On ne rit plus. L’horloge du rire s’est arrêtée à l’heure de la morosité. Le politiquement correct s’est ancré dans nos vies. Avec un masque sur le visage, le rire n’est plus communicatif.
Un jour peut-être que rire sera interdit par la Constitution. Quand les associations de défense de tout et n’importe quoi auront eu raison de notre bonheur à coups de censures, il ne restera que nos yeux pour pleurer.
Des individus lambda derrière leurs écrans jugent ce qu’on a le droit de dire ou non
Les réseaux sociaux ont largement contribué à cela. Des individus lambda derrière leurs écrans jugent ce qu’on a le droit de dire ou non. Si une blague ne passe pas, on peut très vite passer du côté de la « cancel culture« . Cette nouvelle pratique consiste à dénoncer sur les réseaux sociaux une personne que l’on juge problématique et à la faire disparaître des écrans radars. Une carrière peut s’éteindre aussi vite qu’elle a commencé. Le Vichy des temps modernes quoi.
Dans le pays des droits de l’homme, de la libération sexuelle et de la liberté d’expression, on semble revenu à l’ère glaciaire de la bien-pensance. À l’ère glaciale surtout. Nous-mêmes chroniqueurs radio, nous en venons à nous demander si la blague que l’on va faire au micro n’est pas trop choquante. C’est de l’autocensure. De tout temps, ceux qui se sont vu Molière ont chatouillé le pouvoir en place au risque de se mettre en danger. J’en veux pour preuve Coluche, l’exemple type qui dérangeait à gauche comme à droite y a laissé des plumes.
Si nous ne remédions pas à cette situation, nous allons tout droit vers une forme de totalitarisme. Alors que rire c’est s’empêcher de mourir. C’est oublier qu’on est mortel. Encore faut-il arriver à faire rire les autres. Les humoristes d’aujourd’hui ont du mal à se renouveler. Nombreux comme Gad Elmaleh, Tomer Sisley ou encore Thomas Ngijol se sont vus accusés de plagiat. Entre certains comiques la tension est palpable, même Jean-Marie Bigard ne fait plus rire Muriel Robin.
L’égocentrisme à son paroxysme
Pourquoi ne rions-nous plus ? En dehors de l’époque de crise sanitaire, sociale et identitaire que nous traversons, nous avons laissé les écrans envahir nos vies et par conséquent, l’égocentrisme à son paroxysme. Les selfies, les plats healthy et les photos de voyage paradisiaques nous font croire que notre vie a plus d’importance que celle de notre voisin. Du coup on a du mal à accepter la critique et l’autodérision.
Nous ne rions plus parce que nous ne nous parlons plus. On patiente dans des files d’attente sans converser, dans le métro on file à toute allure parce qu’on est pressé, dans le bus on est obnubilé par nos smartphones, dans les salles d’attente règne une ambiance austère. Et si un passant vient nous aborder, on le qualifie très vite de fou.
Il existe différentes façons de rire et de faire rire les autres. Le comique de situation, le comique de geste, le comique de répétition, le comique de caractère, le comique de mœurs, le comique de mots. Si nous n’en faisons pas usage, nous risquons de devenir ennuyeux. Rions tant que l’on ne s’importune pas soi-même. Choquer les autres peut s’avérer bénéfique. Au nom de la République et du droit de rire, rions de tout, rions des autres. Rions parce que l’on n’est pas grand-chose dans ce monde. Et rions de nous-mêmes.
Martial MOSSMANN