
« Pandora » est un film fantastique britannique réalisé en 1951 par l’ancien producteur de la Paramount, Albert Lewin, interprété par la sublime Ava Gartner ainsi que par l’excellent James Mason, tous deux au sommet de leur art. L’histoire se déroule en 1930 à Esperanza, un village de la côte espagnole. Elle se résume ainsi : Pandora, une jeune et belle chanteuse américaine est courtisée par différents riches prétendants dont elle repousse tour à tour les avances. Elle finit par accepter d’épouser l’un d’eux, un coureur automobile, puis rencontre le propriétaire d’un yacht, Hendrick Van der Zee, qui s’avère être le fameux Hollandais Volant, condamné à errer sur les mers jusqu’à ce qu’il rencontre la femme qui acceptera de mourir par amour pour lui.
Le savoir-faire d’une époque
Ce qui frappe immédiatement lors du (re)visionnage de ce film, c’est le rendu exceptionnel de l’image de cette époque obtenue par un savoir-faire aujourd’hui perdu qui façonnait incroyablement les couleurs (en Technicolor), les gros plans vaporeux des actrices, les nuits américaines au clair de lune ainsi que les effets de truquage tout à fait crédibles. De plus, la perpective linéaire est stupéfiante grâce à une profondeur de champ incroyable.
Une tragédie wellesienne
« Pandora » est avant tout une tragédie. En effet, comme le veut ce genre, le destin tragique de Pandora (Ava Gartner) et de Hendrick (James Mason) est énoncé au tout au début par un narrateur, l’oncle Geoffrey (Harold Warrender). En outre, l’influence d’Orson Welles est évidente. En effet, la construction dramatique en puzzle (symbolisée par le vase reconstitué par l’oncle) le prouve, ainsi que les fondus enchainés fréquents et les fondus au noir. Il en est de même du montage alternant des plans très courts avec des plans longs ainsi que de certaines prises de vue en plongée ou en contre-plongée. Par contre, l’expressionnisme allemand cher à Orson Welles est ici absent.
Un film surréaliste
La juxtaposition d’éléments de décors hétéroclites donne un aspect surréaliste au film. Ainsi, on peut voir une voiture de course argentée rouler à vive allure sur une plage en passant devant une statue de déesse décapitée en marbre, des filles en maillot de bain danser avec des hommes en smoking, un piano à queue posé en équilibre au bord de la mer, un trompettiste allongé sur le sable et vu en plongée, Pandora dessinée sur un tableau fortement inspiré par « La muse inquiétante » de Giorgio de Chirico.
Eva Prima Pandora
Le tableau représentant Pandora est ensuite retouché par Hendrick qui en accentue le surréalisme. Ainsi, il recouvre le portrait d’un masque translucide et ovale qui enveloppe le visage en se justifiant par ces mots : « J’ai eu tort de la peindre d’après une femme précise, aussi belle soit-elle. Pandora devrait apparaître comme une abstraction de la femme, épouse et mère, l’œuf originel et générique dont on peut imaginer toute l’humanité éclose. » Albert Lewin dévoile par ce dialogue l’un des éléments clés de son film : le mythe grec de Pandore assimilé à la première Ève (Eva Prima Pandora) ; ce qui ajouté au mythe alors peu connu (avant la franchise des Pirates des Caraïbes) du Hollandais Volant, l’archéologie grecque et phénicienne à travers l’oncle Geoffrey et le surréalisme (développé plus haut), a amené la Métro Goldwyn Mayer à refuser de financer le film, tant son ambition paraissait démesuré.
Le bien et le mal liés
Malgré sa bizarrerie et son incohérence liée à l’ambiguïté de l’éternel féminin incarné par Ava Gardner, chez qui le bien et le mal sont intrinsèquement liés, « Pandora » est un grand film à la beauté infinie qui propulsa ensuite la carrière de l’actrice au sommet. A voir absolument alternativement au Méliès Jean-Jaurès et Saint-François.