
Ce document, bouclé en août dernier après une inspection réalisée en mai, suggère que le propriétaire de la marque, Nestlé Waters, devrait envisager un arrêt de la production d’eau minérale naturelle sur ce site historique. En cause : la dégradation sanitaire des captages, marqués par un risque virologique jugé préoccupant.
Un label emblématique en péril
Perrier, dont le prestige repose sur son label d’eau minérale naturelle, pourrait perdre cette appellation qui garantit la pureté originelle de l’eau puisée à la source. L’ARS recommande à Nestlé d’explorer des alternatives, notamment en redirigeant l’exploitation des captages vers d’autres usages alimentaires. Une telle perspective serait un coup de grâce pour cette marque centenaire, dont le site de Vergèze emploie un millier de salariés.
Le renouvellement de l’autorisation d’exploitation, demandé en octobre 2023 par Nestlé, est désormais suspendu à l’arbitrage de la préfecture du Gard, qui doit attendre l’avis d’hydrogéologues agréés. La décision finale est attendue au premier semestre 2025.
Un historique de pollutions préoccupant
L’alerte n’est pas nouvelle : en avril dernier, un des sept captages du site a été suspendu par le préfet après la détection de bactéries d’origine fécale. Par mesure de précaution, Nestlé avait alors détruit trois millions de bouteilles. L’incident, attribué à des pluies intenses, serait en réalité le symptôme d’une dégradation généralisée des nappes phréatiques exploitées par le site. Les puits de Vergèze, comme d’autres sources contrôlées par Nestlé, ont souvent nécessité des traitements non conformes pour pallier ces problèmes : microfiltration, filtres UV, et charbons actifs ont été employés, malgré leur interdiction pour les eaux minérales naturelles.
Selon l’ARS, des contaminations bactériennes persistantes concernent encore au moins deux forages, conduisant à des arrêts simultanés de leur exploitation au printemps 2024. Les inspecteurs pointent également un risque virologique potentiel – adénovirus, norovirus ou hépatite A – qui pourrait représenter une menace pour la santé publique.
Une réglementation controversée assouplie par le gouvernement
En février 2023, le gouvernement d’Élisabeth Borne a pourtant autorisé l’usage controversé de la microfiltration pour Nestlé, contre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). Ces institutions avaient mis en garde sur les limites de cette technologie, qui ne garantit pas la rétention des virus et pourrait exposer les consommateurs à des épidémies similaires à celle survenue en Catalogne en 2016, où 4 000 personnes avaient été intoxiquées par un norovirus ayant échappé à la filtration.
Malgré cette autorisation, le rapport de l’ARS juge l’usage des microfiltres sur le site de Perrier comme non réglementaire. Les inspecteurs rappellent que ces procédés compensent une qualité d’eau brute insuffisante, en contradiction avec les critères stricts imposés au label d’eau minérale naturelle. Nestlé pourrait donc faire face à des sanctions administratives ou pénales en cas de signalement au procureur.
Un enjeu stratégique pour Nestlé et l’État
Pour Nestlé, le site de Vergèze est stratégique : il représente non seulement un symbole de son patrimoine industriel, mais aussi une source de revenus essentielle pour le groupe. En parallèle, le géant suisse a déjà diversifié ses activités avec des produits ne bénéficiant pas du label « eau minérale naturelle », comme la gamme Maison Perrier, soumise à des traitements plus flexibles.
Cependant, les risques sanitaires soulignés par l’ARS et la récurrence des fraudes mettent également en lumière les défaillances des contrôles publics. Une commission d’enquête sénatoriale a été ouverte en décembre 2024 pour examiner les responsabilités des pouvoirs publics et de Nestlé dans la gestion de ces risques.
Alors que la décision de la préfecture du Gard se fait attendre, la question demeure : Perrier pourra-t-elle préserver son label d’eau minérale naturelle, ou devra-t-elle se réinventer dans un marché où sa réputation est plus fragile que jamais ?