Une légende du football français s’est donc éteinte le 27 avril 2020. Encore une. Car Robert Herbin était une légende. L’un des plus grands entraîneurs de l’histoire du football hexagonal assurément. Du temps où, comme l’avait sentencieusement déclaré Yves Mourousi en ouverture de son journal télévisé, la France était verte.
Robby comme l’appelaient ses joueurs, ça restera, comme joueur, six titres de champion de France et trois Coupes de France. Comme entraîneur, quatre titres de champion de France, trois Coupes de France, et surtout une finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, en 1976 contre le Bayern de Munich. Et tout ça avec le même maillot, le vert de l’AS Saint-Etienne.
De 1957 à 1983 celui qui était né dans le 19e arrondissement de Paris n’a connu qu’une seule tunique. II l’a portée au sommet du football hexagonal, et à une toute petite marche du firmament européen.
Lorsqu’il est devenu entraîneur de l’ASSE, en 1972, l’ex-milieu défensif, formé au Cavigal de Nice, mais arrivé dans le Forez à 18 ans, venait tout juste de raccrocher ses crampons. Il n’était alors âgé que de 32 ans, quand Roger Rocher président du club lui a proposé de succéder à l’immense Albert Batteux. L’ex-capitaine des Verts, qui a tout juste entamé sa formation d’entraîneur, passe alors sur le banc. Et rapidement révolutionne la fonction.
vec une équipe qu’il a exigée rajeunie, mixant quelques-uns de ses anciens coéquipiers (Larqué, Bereta, Farison…) avec les jeunes pousses talentueuses du centre de formation (Bathenay, Synaeghel, Lopez, Santini…), Robert Herbin met en pratique ses convictions sur le football moderne. Exigence défensive, et liberté d’inspiration offensive. Comme beaucoup le jeune entraîneur est inspiré par l’Ajax d’Amsterdam et son football total.
Sur le plan athlétique, Herbin innove aussi en sollicitant de ses joueurs un engagement sans faille sur le plan physique. Première en France, il instaure deux séances d’entraînement par jour, mais très diversifiées sur le plan du contenu. Il pousse également assez loin les spécifiques gardien. Dès 1974, ses Verts font le doublé coupe -championnat.
La méthode Herbin lui vaut rapidement un surnom : le Sphynx. Impassible, exigeant, le jeune entraîneur stéphanois aime ses joueurs, mais sait garder de la distance. La concertation avec les joueurs ça n’existe pas, aime t-il à rappeler. Chacun doit prendre ses responsabilités, l’entraîneur comme les joueurs.
Et s’il sait repérer et libérer les talents individuels, il place au-dessus de tout, le collectif. Mes joueurs ne sont pas des robots. Je fais appel à toute leur intelligence. L’inspiration intervient lorsqu’ils ont le ballon. Je suis un adepte des passes courtes redoublées, pour un jeu instinctif mais je peux affirmer qu’aucun joueur de Saint-Étienne n’est capable de me satisfaire d’une action d’éclat. Il y a des joueurs auxquels il faut mâcher le travail mais à force d’insister sur les principes collectifs, de parler de l’intérêt de tous, on respecte l’esprit de ce jeu et une discipline de vie. Tout cela compte. (1). La réussite (d’une équipe) tient à très peu de choses et l’équilibre entre les différents éléments qui la composent est extrêmement fragile. Pour un rien, tout peut être déréglé, alors je ne porte jamais en public un jugement sur mes joueurs. Partant de ce principe, je suis parfaitement conscient que mes rapports avec la presse sont loin d’être toujours enrichissants. Euphémisme…
Sous son ère, les Verts se forgent à travers l’Europe l’image d’une équipe redoutable, capable de tous les renversements de situation. Premier coup de tonnerre en 1975 en huitième de finale de la coupe d’Europe. Battus 4-1 au Hadjuk Split, les coéquipiers de Jean-Michel Larqué renversent la vapeur à Geoffroy-Guichard en gagnant 5-1 après prolongations. L’année suivante, en quarts de finale Saint-Etienne s’incline 2-0 contre Kiev à Simpferopol, mais gagne 3-0 encore après prolongations à la maison. Cette année-là, seul le Bayern de Munich, et des poteaux carrés, empêche les hommes de Robert Herbin d’offrir sa première Coupe d’Europe à la France.
Le lendemain de la finale, pourtant perdue, à Glasgow, les Verts défilent sur les Champs -Elysées et sont reçus en grande pompe par le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing.
Après ce moment de gloire, le Sphynx reste encore quelques années à la tête des Verts, dont le standing commence à décliner au début des années 1980. Mais, après la fameuse affaire de la caisse noire qui enverra son président Roger Rocher en prison pour quatre mois, il finit lui aussi par quitter l’ASSE, pour rejoindre pour l’Olympique Lyonnais qu’il dirige pendant deux saisons.
À la surprise générale, et dans un contexte bien moins euphorique, il fait son retour dans le Forez en 1987 pour trois saisons avant d’en être limogé une nouvelle fois.
Depuis sa retraite, il s’était retiré dans la région stéphanoise, où il se faisait très discret, participant rarement aux retrouvailles avec ses anciens joueurs avec qui il n’entretenait que peu de contacts. Il tenait cependant une chronique régulière dans le quotidien Le Progrès où il ne se montrait pas toujours tendre avec son club de cœur.
Jusqu’à, il y a encore quelques années, ses successeurs le croisaient parfois à l’Etrat le siège de l’ASSE où il bénéficiait de l’attention des kinés pour ses douloureux maux de dos.