« Quelqu’un qui est attaché à la question sociale, à la question environnementale et à la question productive » : voilà le portrait-robot du prochain premier ministre dessiné mercredi, par Emmanuel Macron, en visite à Cergy (Val-d’Oise). Ce pourrait être une femme ? Le président a « le souhait bien sûr d’une nomination féminine à Matignon », a indiqué le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Clément Beaune. Une telle nomination serait, à n’en pas douter, un évènement. Le gouvernement de la France n’a été qu’une seule fois dirigé par une femme : Edith Cresson, un peu moins d’un an entre 1991 et 1992. Sauf qu’Emmanuel Macron a déjà fait le coup. « Une femme Premier ministre ? C’est plutôt mon souhait, disait-il déjà en 2017 pendant sa campagne. Mais je ne vais pas choisir un Premier ministre parce que c’est une femme. Je choisirai le Premier ministre le plus compétent avec le souhait que ce soit une femme. »
Une fois élu, c’est Edouard Philippe qu’il nommera avant de le remplacer en 2020 par Jean Castex : à l’évidence, il n’a pas trouvé de femme compétente pour le poste. Après avoir réaffirmé cette volonté de nommer une femme cette année, Emmanuel Macron peut-il vraiment faire l’impasse cette fois ? « C’est le président qui a le pouvoir de nommer le premier ministre, il fera le choix qu’il estime nécessaire », répond très prudemment Olivier Becht, le président du groupe Agir à l’Assemblée (l’aile droite de la majorité). Au fond, ça veut quand même dire que oui, c’est le président qui décide, et il décide de ce qu’il veut. « J’ai peur qu’il y ait des déçues », s’avance même Catherine Osson, députée LREM du Nord.
« La compétence est une fable »
Et la justification de l’éventuelle nomination d’un homme n’a pas changé par rapport à 2017 : « Je n’ai jamais été partisan de nommer une femme pour nommer une femme, clame la porte-parole du parti présidentiel, Maud Bregeon. Ce qui doit primer, ce sont les compétences. » Cinq ans plus tard, il n’y a donc toujours pas une femme compétente pour le poste ? « La compétence est une fable, s’indigne l’élue et militante féministe et lesbienne, Alice Coffin. Ou alors cela reviendrait vraiment à dire que les hommes sont plus compétents que les femmes puisqu’on en est à 23 premiers ministres hommes sur 24 sous la Ve République. Donc, dans 96 % des cas, les hommes sont, selon nos présidents de la République plus compétents que les femmes. »
La question est de savoir ce que l’on attend d’un ou d’une première ministre. « Moi je suis pour avoir une femme à Matignon, explique Catherine Osson. Mais si c’est pour mettre une femme qui ne soit pas la cheffe de guerre dont on a besoin, alors il vaut mieux mettre un homme. » Cheffe de guerre ? A ce train-là, Alice Coffin pense que les femmes seront « d’emblées éliminées » : « Les attentes des hommes de pouvoir envers d’autres hommes de pouvoir sont des attentes masculines. Les standards sur lesquels on a construit l’idée, l’essence du »premier ministre », sont donc masculins. »
Borne, NKM, Lagarde…
Bon mais alors qui ? Un nom revient avec insistance depuis plusieurs semaines : celui d’Elisabeth Borne, l’actuelle ministre du Travail. Pendant le quinquennat elle a aussi été aux Transports et surtout au poste clé de la Transition écologique après le départ de François de Rugy, en 2019. L’ancienne présidente de la RATP, issue de la gauche, semble cocher toutes les cases du poatrait-robot dessiné par Emmanuel Macron mercredi. Elle n’est, certes, pas la plus médiatique des ministres. Mais quand on a nommé Jean Castex, c’est le critère de l’espace médiatique n’est pas décisif.
La semaine dernière, L’Obs s’est fait l’écho d’une rumeur sur Nathalie Kosciusko-Morizet. L’ancienne ministre UMP a quitté la politique en 2017, après avoir été battue aux législatives à Paris. Elle a pour elle d’avoir été à la manœuvre lors du Grenelle de l’environnement, lancé par Nicolas Sarkozy en 2007. L’ancienne députée de Longjumeau a longtemps incarné une aile plus centriste et plus verte à droite. Aussi, comme à chaque remaniement ou changement de gouvernement, l’hypothèse Christine Lagarde revient. Avocate d’affaire, ministre de l’Economie, présidente du FMI et désormais gouverneure de la Banque centrale européenne : Christine Lagarde a un CV cinq étoiles. Précisément, a-t-elle réellement intérêt à revenir à Paris ? D’autant qu’avoir réussi à imposer une Française à Francfort est à mettre au crédit du bilan européen d’Emmanuel Macron.
Un effet « ah bon ? »
Les noms de la ministre des Armées, Florence Parly, mais aussi de l’ancienne ministre de Jacques Chirac, Catherine Vautrin, sont aussi évoqués. La présidente LR des Pays-de-la-Loire, Christelle Morançais, fait partie des prétendantes depuis qu’elle a ostensiblement tendu la main à Emmanuel Macron, au soir du second tour. Et pourquoi pas tout autre chose ? Catherine Osson verrait bien une femme qui viendrait du monde économique ou associatif. « J’adorerai qu’on ait une surprise avec une femme inconnue du grand public, que tout le monde se dire »ah bon ? » et qui cartonne ! », rêve tout haut la députée du Nord qui, malgré les déceptions passées sur ce sujet, fait « confiance à [son] président de la République ».
En bonne gestionnaire des attentes, Maud Bregeon prévient qu’il ne faut pas faire de la nomination d’une femme à Matignon « un totem ou un symbole » et invite à voir les choses plus globalement : « Je n’oublie pas que c’est aussi grâce à Emmanuel Macron que pour la première fois en 2017 le groupe majoritaire était paritaire. » Certes, mais au cœur du pouvoir, autour du président, ce sont presque exclusivement des hommes qui gravitent. Et au fond, c’est encore ce « boys club » qui décidera ou non de la nomination d’une femme à la tête du gouvernement.