
. Parce que c’est un remède à la terreur
Bien sûr, rien ne vaut un bon film de Noël pour oublier les aubes arrosées de crachin, les rhumes d’automne et la nuit qui s’invite avant cinq heures de l’après-midi. Dans Love Actually, comme dans n’importe quelle romcom, les acteurs et les actrices sont beaux (surtout Hugh Grant), drôles et intelligents. Ils portent des tenues printanières en plein hiver sans avoir la goutte au nez et les sapins de Noël qui brillent dans leurs salons ont de quoi faire pâlir ceux de nos grands magasins les plus chics. Mais dans Love Actually, il y a un je-ne-sais-quoi de plus profondément réconfortant que les paillettes d’usage.
Le film s’ouvre et se clôture sur des scènes d’arrivées à l’aéroport londonien de Heathrow. « Quand l’état du monde me déprime, je pense aux arrivées à Heathrow,déclame une voix off. On dit que le monde est plein de haine et de cupidité. Je ne trouve pas. L’amour est partout. Il n’est pas toujours très digne ni glorieux. Mais il est toujours là. Pères et fils, mères et filles, maris et femmes, petits amis, vieux amis… » « Love is everywhere », nous rappelle le narrateur de Love Actually, même quand l’humanité semble se noyer dans un torrent de boue : « Avant de heurter les Tours Jumelles, poursuit la voix, les passagers n’ont envoyé aucun message de haine ni de vengeance, mais des messages d’amour. En cherchant bien, je suis sûr que vous verrez que l’amour, finalement, est partout… »
Sorti en 2003, le film s’ouvre sur une référence à l’attentat du 11 septembre 2001, dont le traumatisme était encore très vif dans les esprits. Familles déchirées, politiques guerrières, violence, sang et tourments : l’Occident venait d’entrer dans la fin de l’innocence. Soudain, on parlait de Troisième Guerre mondiale en caressant le rêve de se faire construire un bunker. Sous ses airs badins, le film de Richard Curtis avait parfaitement cerné notre infini besoin de consolation. Et venait rappeler à une humanité paniquée que les aéroports berçaient encore des amours sincères, des liens puissants et des rêves incassables.
Vingt ans plus tard, l’horloge de l’Apocalypse semble plus que jamais prête à sonner la fin de nos temps troublés. Comment ne pas, alors, succomber au bonheur d’attendre les douze coups d’une belle nuit de Noël au cœur de laquelle les hommes et les femmes du XXIe siècle se cherchent, s’espèrent, se trouvent et se retrouvent, en dépit des vents mauvais qui soufflent sur l’actualité ?
2. Parce qu’il ne nous raconte pas des craques sur le bonheur
Certes, Love Actually est une jolie fontaine à sirop, à laquelle viendront s’abreuver plusieurs couples d’amoureux : le Premier ministre anglais et sa fabuleuse secrétaire, incapable de dire trois phrases sans prononcer le mot fuck, deux acteurs de films érotiques rougissant de se conter fleurette sous l’œil d’une vingtaine de techniciens et de plusieurs caméras, un auteur à succès et son aide ménagère communiquant dans le langage universel du cœur qui s’emballe et un petit garçon transpercé, à onze ans, par les tourments de l’amour.
Mais si ce film tire le fil d’un certain nombre d’histoires heureuses, étirant nos lèvres gercées par le froid de décembre en grands sourires béats, il n’occulte pas la cruauté de la vie amoureuse, ni la morsure de la solitude. Son effet « baume au cœur » est d’autant plus efficace qu’il ne cherche pas à passer de la pommade sur des vies sans tragédies. Toutes les âmes blessées qui traversent ce film ne connaîtront pas de happy end. On pense avec un gros pincement au cœur à Mark, incarné par Andrew Lincoln (futur Rick dans The Walking Dead), amoureux transi mais sans espoir de la femme de son meilleur ami, à Mia, amourachée de son patron, sublime, mais seule à pleurer dans son petit studio malgré ses tentatives presque réussies de briser le ménage du brave homme, ou encore à la dévouée Sarah, qui passera à côté de Karl, l’amour de sa vie, pour mieux veiller sur son frère, handicapé mental.
L’amour, oui, mais sous toutes ses formes, et dans toutes ses saveurs, des plus piquantes aux plus amères, des plus sucrées aux plus acides : face au déluge de romances calibrées qui a envahi, en quelques années, nos petits écrans, Love actually nous rappelle qu’être célibataire, veuf, malade, nul en amour, rejeté ou désespérément esseulé au moment des fêtes, cela arrive, hélas. Et que même quand notre vie sentimentale ou familiale nous laisse sur le carreau, on peut toujours rire à travers nos larmes…
3. Parce que c’est officiellement le film le plus drôle de tous les temps
Du moins selon nos critères. Déjà, il y a Mr Bean, alias Rowan Atkinson, irrésistible dans la peau d’un vendeur de bijoux mettant un soin particulier à emballer le collier qu’Harry (incarné par feu Alan Rickman, l’ombrageux professeur Rogue d’Harry Potter, jouant ici un père de famille bien sous tous rapports, soudain tourmenté par le démon de midi) veut discrètement acquérir pour sa potentielle maîtresse.
On ne peut que se tordre de rire face au comique anglais frottant sensuellement entre ses doigts des brins de lavande séchée sous le regard courroucé d’Alan Rickman. En bonus, Rowan Atkinson reviendra à la toute fin du film, bloquant une file entière de passagers en fouillant ses bagages à la recherche de sa carte d’embarquement. On ne sait pas pour vous, mais nous, il nous suffit de voir cet acteur se matérialiser à l’écran pour sentir monter le fou rire… L’intervention du bon Mr Bean n’est que le prélude à une tripotée de gags allant de l’absurde au mignon, du grotesque au délirant, sans jamais rater leur cible. L’humour anglais à son apogée…
Et puis, avouons-le, il y a le politiquement incorrect, en rupture totale avec l’air du temps de 2023. Sans jamais verser dans la cruauté ou la méchanceté, Love Actually s’offre des incartades du côté de la crudité, notamment grâce au personnage de Billy Mack (Bill Nighy), vieille légende du rock connaissant une nouvelle jeunesse grâce à la version de Noël de l’un de ses vieux tubes, Love Is All Around (une chanson des Stroggs, utilisée par ailleurs dans Quatre mariages et un enterrement, de Mike Newell), propulsé au sommet du top 50 à la surprise du vieux chanteur et de son fidèle manager.
On se tord de rire dès les premières apparitions à l’écran du cynique personnage, qui échoue à remplacer « love » par « Christmas » (le comique de répétition, simple et efficace), puis on se régale de ses sorties de route sexistes, agistes, homophobes, grossophobes et grossières, à mille lieues de l’humour calibré sur charte morale par les nouvelles productions Netflix ou Disney. C’est mal, très mal, et on le sait. Seulement voilà, c’est drôle. Très drôle. Et dans le fond, était-ce vraiment si méchant ?
4. Parce que Hugh Grant. Tout simplement.
S’il est illustré comme le gentleman le plus irrésistible de la comédie britannique de l’âge d’or des années 1990-2000 à travers ses rôles dans Quatre mariages et un enterrement (Mike Newell, 1994), Coup de foudre à Notting Hill (Roger Michell, 1999) ou Le Journal de Bridget Jones (Sharon Maguire, 2001), il culmine ici dans l’un de ses meilleurs rôles. Incarnant un Premier ministre anglais gaffeur et non conventionnel, débarquant à Downing Street comme un chien dans un jeu de cricket, il tombe amoureux de son assistante, Natalie, et taille un costard, porté par l’ivresse de ses sentiments, à un président des USA (Billy Bob Thornton) complètement tourneboulé par le bagout du jeune premier.
Mais soyons honnêtes : notre scène préférée du film, et sans doute notre scène préférée de tous les temps et de tous les films de l’univers, demeure celle de la petite danse qu’il effectue au son de Jump (For My Love), des Pointer Sisters. Impossible d’oublier – et sans doute même de vivre sans – le déhanché guilleret de l’acteur dans les couloirs de sa résidence, qui s’achève sous l’œil imperturbable de sa so british gouvernante. Gravée dans nos esprits, mille fois rejouée sur le net et transformée en mème avec un succès toujours renouvelé, sa chorégraphie n’est pas mythique, elle est désormais carrément mythologique. Vous en reprendrez bien une petite tranche pour les fêtes ?
5. Parce que sa BO met K.-O. toutes vos playlists de Noël
Il y a d’abord Christmas Is All Around, le tube complètement cheesy et délicieusement ringard de Bill Nighy, qui nous colle au cerveau pendant des semaines après le visionnage de Love Actually – on vous met au défi de ne pas le fredonner encore au printemps, après avoir regardé le film en décembre. Vient ensuite une tonitruante interprétation de All You Need Is Love des Beatles, par le soulman Lynden David Hall sous l’œil émerveillé de Keira Knightley, qui voit surgir trompettistes, choristes et autres musiciens de la foule des invités à sa cérémonie de mariage.
Côté classique, la très classe Joni Mitchell côtoie le légendaire Otis Redding et les très rock Beach Boys. Côté moderne, le film concentre quelques grands tubes du début des années 2000, Texas, Dido, Norah Jones et Kelly Clarkson en tête. On plonge avec délices dans ce bain de nostalgie. La chanson phare du long-métrage est All I Want For Christmas, l’indéboulonnable tube de Mariah Carey, ici interprété par Tessa Niles, puis Olivia Olson, chanteuse surdouée de dix ans à la technique imparable, sous l’œil de merlan frit du jeune Sam (Thomas Brodie-Sangster), dans une scène finale qui nous subjugue et nous électrise.
Composée par Craig Armstrong, la musique du film lorgne, sur certaines scènes, du côté du symphonique, apportant une touche de grandiloquence à un film décidément taillé pour traverser le temps et marquer les mémoires. Pour nos cœurs comme pour nos oreilles, Love Actually demeure, vingt ans après sa première apparition sur nos écrans, le plus beau des cadeaux à s’offrir en hiver, avec ou sans âme sœur à glisser sous son plaid. A voir, ou revoir ce soir au Megarama Jean-Jaurès à Saint-Etienne à 20h30.