Face à cette situation alarmante, une vingtaine de soignants issus de la réserve sanitaire ont embarqué mercredi soir depuis Paris pour rejoindre l’archipel. Une mobilisation cruciale pour une île qui cumule précarité, manque d’eau potable et risque de flambée épidémique, notamment de choléra.
Une mission hors normes : des soignants en « terrain de guerre climatique »
Au départ des locaux de Santé publique France (SPF), en région parisienne, les préparatifs s’intensifient. Sacs à dos alignés, tentes pliées et instructions militaires en cours : tout est prêt pour une mission qui s’annonce atypique. Cette fois, les volontaires – deux médecins, deux sages-femmes et seize infirmiers – ne seront pas logés à l’hôtel comme à l’accoutumée. Ils vivront sur un camp de base composé de douze tentes, capable d’accueillir jusqu’à 120 personnes, et recevront des rations militaires pour se nourrir.
« Vous allez sans doute avoir l’impression de ne pas arriver au même endroit », prévient Geneviève Darrieussecq, ministre démissionnaire de la Santé, venue saluer les volontaires. Et pour cause : après le passage du cyclone, Mayotte ressemble désormais à ce que la ministre qualifie de « terrain de guerre climatique ».
Une île déjà fragilisée par la crise de l’eau
Avant même cette catastrophe, Mayotte vivait sous tension. Depuis plusieurs mois, des rotations de réservistes de la santé étaient organisées pour pallier une crise chronique de l’eau potable. Aujourd’hui, la situation est encore plus critique. Dans certains centres d’hébergement d’urgence, une bouteille d’eau doit suffire à alimenter plusieurs personnes, soit à peine un verre d’eau par personne et par jour.
Le docteur Jacques, généraliste à Mamoudzou, s’inquiète du faible nombre de patients se rendant dans les cabinets médicaux. « Les rendez-vous habituels sont désertés. Les gens ne viennent que pour des blessures importantes. Pour le reste, ce n’est pas leur priorité : ils sont occupés à réparer leur maison ou à chercher un toit », déplore-t-il. Cette désorganisation accroît le risque de complications pour les personnes souffrant de maladies chroniques.
Des épidémies en embuscade
Le spectre d’épidémies hante les soignants. Avec la consommation d’eau souillée, le choléra pourrait rapidement réapparaître. La leptospirose, une infection bactérienne transmise par les urines de rats, est également redoutée. « La chaîne du froid a été rompue à cause des coupures d’électricité, et il faudra peut-être refaire les stocks de vaccins », alerte Jean-François Corty, de Médecins du Monde.
Pour Caroline Semaille, directrice générale de SPF, la surveillance est maximale : « Nous avons mis en place des mécanismes d’alerte rapide. Si des cas de choléra se confirment, des campagnes de vaccination seront immédiatement déclenchées. »
La solidarité s’organise
En parallèle des équipes médicales, un pont maritime civil est en cours d’installation pour intensifier les acheminements vers l’île. Dimanche, 200 conteneurs contenant des millions de litres d’eau potable et des biens de première nécessité sont attendus. Cinq rotations aériennes quotidiennes permettent également d’apporter des renforts et du matériel médical.
Un bilan humain incertain
Le cyclone a laissé Mayotte dévastée. Les derniers chiffres font état d’une trentaine de décès et de plus de 1 370 blessés, un bilan encore provisoire. Mais au-delà des chiffres, c’est une population entière qui se retrouve démunie. Des familles s’entassent dans des écoles transformées en centres d’hébergement, où des soignants tentent d’apporter les premiers secours.
Pour Dany-Anne, infirmière volontaire, cette mission revêt un caractère particulier. « Quand j’ai appris l’arrivée du cyclone, j’ai eu encore plus envie de partir. C’est une mission différente, mais c’est pour ça que je suis là : aider dans l’urgence. »
Mayotte, symbole des défis climatiques et sanitaires
Cette crise illustre de façon criante les inégalités et la vulnérabilité des territoires ultramarins face aux catastrophes climatiques. À Mayotte, le cyclone n’a fait qu’exacerber des problématiques déjà existantes : précarité, insécurité alimentaire, crise de l’eau et infrastructures sanitaires insuffisantes.
« Nous sommes face à une accumulation de malchances, mais aussi à un terrain d’urgence absolue », conclut Élise, médecin généraliste partie en mission. Pour les soignants comme pour les habitants, les semaines à venir s’annoncent décisives.