La Commission des Hommages publics de la ville se réunira avant la fin de l’année pour délibérer sur la possibilité de débaptiser le parc. Gilles Artigues, président de la commission, a d’ores et déjà annoncé son intention de proposer un nouveau nom : le “square de la Fondation Emmaüs”, afin de préserver l’héritage humanitaire de l’organisation sans être entaché par les actes de son fondateur.
Un mythe qui s’effondre
L’abbé Pierre, autrefois admiré pour son dévouement aux plus démunis et pour avoir fondé le mouvement Emmaüs en 1949, voit aujourd’hui son image ternie. Ces dernières années, plusieurs témoignages accablants ont vu le jour, révélant un autre visage de l’ecclésiastique. Le scandale a pris une nouvelle ampleur lorsque la cellule d’investigation de Radio France a publié des lettres inédites et des témoignages montrant un comportement répréhensible de l’abbé, notamment lors de voyages à l’étranger.
Les premières accusations remontent à 1955, lors d’une tournée de l’abbé Pierre aux États-Unis, où plusieurs femmes se sont plaintes de son comportement inapproprié. Le voyage avait alors été interrompu prématurément pour éviter un scandale qui aurait pu éclabousser son image publique. Cinq ans plus tard, à Montréal, l’abbé Pierre fut de nouveau accusé d’agressions sexuelles, ce qui conduisit à son expulsion rapide du Canada. Selon le théologien André Paul, la situation était si grave que la police et les autorités judiciaires locales s’en étaient mêlées, mais l’intervention du cardinal de Montréal permit à l’abbé d’échapper aux poursuites, à condition qu’il ne revienne jamais.
Une retraite forcée en Suisse
L’ampleur des comportements problématiques de l’abbé Pierre a finalement conduit l’Église et le mouvement Emmaüs à agir en 1957. Officiellement, il fut envoyé dans une clinique psychiatrique en Suisse pour des raisons de santé. Cependant, l’historienne Axelle Brodiez-Dolino, spécialiste de l’histoire d’Emmaüs, affirme que cette décision visait surtout à éviter que ses écarts de conduite ne deviennent un scandale public. “L’Église avait besoin de lui pour son image, il était une figure essentielle pour la popularité de l’institution, et ils ne pouvaient pas se permettre qu’un scandale éclate”, explique l’historienne.
Le malaise autour de l’abbé Pierre était tel que le cardinal de Paris, Monseigneur Feltin, avait même tenté d’empêcher le ministre de la Fonction publique de lui décerner une décoration officielle, invoquant sa “maladie” et déconseillant toute mise en avant publique de sa personne à cette période.
Des pratiques de protection autour de l’abbé Pierre
Les comportements inappropriés de l’abbé Pierre étaient apparemment bien connus au sein de son entourage. Un ancien cadre d’Emmaüs raconte que Raymond Etienne, ancien président de l’organisation, avait mis en place un “cordon de sécurité” autour de l’abbé lors de ses déplacements, afin de protéger les jeunes femmes de ses gestes déplacés. Il explique que l’abbé avait “tendance à toucher les seins des femmes qu’il rencontrait”, une situation que les responsables d’Emmaüs tentaient de gérer discrètement pour éviter les retombées publiques.
Une commission pour faire toute la lumière
Face à ces révélations, les différentes branches du mouvement Emmaüs, dont Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre, ont réagi. Elles ont annoncé la mise en place d’une commission composée d’historiens pour enquêter sur ces affaires. Cette commission aura pour tâche de comprendre comment l’abbé Pierre a pu agir ainsi pendant des décennies sans être inquiété, malgré les multiples dysfonctionnements internes et le silence des institutions.
Un changement symbolique à Saint-Étienne
Le changement de nom du square Abbé Pierre à Saint-Étienne, bien que localisé, revêt une importance symbolique forte. Si la proposition de Gilles Artigues de renommer le lieu en “square de la Fondation Emmaüs” est adoptée, cela marquera une étape dans la volonté de la ville et de ses habitants de reconnaître les actes inacceptables commis par l’abbé Pierre, tout en préservant l’héritage d’Emmaüs, un mouvement qui a, par ailleurs, aidé des millions de personnes.
Alors que l’histoire de l’abbé Pierre continue de se réécrire, la question reste ouverte : comment concilier le bien indéniable apporté par son action et les ombres lourdes qui planent désormais sur sa figure ? Le débat sur la mémoire et la reconnaissance publique de telles personnalités complexes est plus que jamais d’actualité.